Divorce à l’italienne… par Dimitri Urbain

Le bras de fer qui oppose actuellement Stellantis au gouvernement italien, n’est pas sans rappeler ce classique du cinéma italien des années 60. Cependant, ici c’est… Alfa Romeo qui trinque et doit changer le nom de son nouveau modèle par ailleurs destiné à devenir la première voiture électrique de la marque! En effet, choisir d’appeler « Milano » une voiture produite en Pologne n’était pas possible pour le gouvernement italien, « Junior » est plus politiquement correct.  Est-ce un mal ? Les ventes de la nouvelle Alfa Romeo pourraient même peut-être en bénéficier car « Milano », déjà utilisé par le passé, n’a pas laissé que des bons souvenirs !

L’Alfa Junior, première du nom, était un petit coupé à moteur 1300 destiné à un public jeune. Il a obtenu un beau succès entre 1966 et 1975 et est ici visible dans sa première version baptisée « Scalino » ou « boîte à lettres » à cause de la forme du dessus des ailes avant. Seules les versions 1300, très populaires en Italie pour des raisons fiscales, avaient une calandre à deux phares.

L’Italie dans l’œil du cyclone

Le torchon brûle entre le gouvernement italien et le patron de Stellantis. D’un côté, le gouvernement fait les yeux doux à BYD, ce qui n’est absolument pas du goût de Carlos Tavares qui menace de fermer des usines dans le pays…  Pour lui, si le gouvernement italien introduit le loup dans la bergerie (en accueillant un ou plusieurs constructeurs chinois sur son sol), il devra assumer et prendre les mesures impopulaires qui s’avéreraient nécessaires par la suite. Le gouvernement justifie son action en reprochant à Stellantis de ne pas investir assez dans ses usines transalpines. Tavares, lui, s’en défend et explique qu’il est l’artisan de la relance de Lancia et de la remontée des ventes d’Alfa Romeo.  Il enfonce même un peu plus le clou et reproche au gouvernement italien de ne pas subventionner les ventes de véhicules électriques et de ne pas favoriser plus largement le déploiement des infrastructures de recharge dans le pays. Nous le savons bien, l’Italie et la voiture électrique ce n’est ni une histoire d’amour, ni un long fleuve tranquille :  le pays est à la traine et à la peine sur le sujet. Outre BYD, le gouvernement courtise aussi Tesla, mais une arrivée du constructeur américain dans la péninsule reste hautement hypothétique, vu sa situation actuelle. N’oublions pas qu’après des révisions de prix à la baisse, la marque va se séparer d’une partie de son personnel. De nombreuses rumeurs font également état du fait que Stellantis quitterait l’Italie et mettrait plusieurs milliers de personnes au chômage. Tavares les qualifie de non-fondées mais il est certain que l’arrivée d’une marque chinoise de la taille de BYD dans la péninsule rebattrait les cartes. Il deviendrait encore plus crucial pour Stellantis de réduire ses coûts de production afin de rester concurrentiel. Nul doute qu’une délocalisation plus large de la production serait alors à l’ordre du jour. Carlos Tavares a promis de maintenir une production automobile du groupe en Italie au moins jusqu’en 2030 et de sortir un million de véhicules dans les six prochaines années, y incluant la future FIAT Panda sur le site de Pomigliano d’Arco mais… les choses se passeront-elles comme prévu ?

L’autre Alfa Romeo déjà baptisée Junior, la Junior Z (pour Zagato) était ce petit coupé produit à raison d’environ 1500 exemplaires entre 1973 et 1975. Sa mécanique était identique au coupé… Junior dessiné par Giugiaro et produit chez Bertone.

Production en baisse

A Turin, berceau historique de FIAT, la production de l’usine de Mirafiori est désormais inférieure à 80.000 unités par an. Elle tombera peut-être à… 50.000 seulement, après le revirement sur la production de la 500 électrique qui ne se vend pas comme prévu. L’inquiétude est grande, pas uniquement au sein du personnel de l’usine. Pour la première fois depuis 15 ans, les six syndicats présents sur le site ont accordé leurs violons et manifesté ensemble pour défendre les travailleurs. Au-delà du personnel des usines du groupe Stellantis, il y a également ceux occupés par des sous- traitants ainsi que plus largement tous ceux du secteur de la maintenance et de la réparation, qui seront inévitablement impactés sur l’ensemble du pays. Fiat n’est plus le numéro un incontesté en Italie, c’est désormais en Amérique Latine que se trouvent ses principaux marchés. Elle reste néanmoins la première marque du groupe par son volume de production.

Alfa Romeo revient sur le segment B et passe à l’électrique

C’est donc dans ce contexte particulier qu’a été présenté l’Alfa Romeo Milano, le 10 avril dernier. La marque avait annoncé dès l’an dernier que son futur petit SUV cousin de la 2008 s’appellerait Milano, rendant ainsi hommage à la ville où la marque a vu le jour en 1910. Le nom était donc connu dès décembre 2023 et ce choix ne semblait pas poser de problème. Que s’est-il donc passé ? « Milano » est arrivé en tête de liste dans une enquête en ligne et « Junior » y figurait en seconde position. Pour la petite histoire, ce n’est pas la première fois qu’Alfa Romeo sollicite le public pour choisir le patronyme d’une automobile. C’était déjà le cas avec le cabriolet dérivé de la Giulia, dans les années 60.

Changement de nom pour des raisons légales

En 1964, Alfa Romeo a donc organisé un vote à grande échelle pour trouver un nom à son futur cabriolet, développé par Pininfarina sur base de la Giulia. Parmi plus de cent quarante mille propositions parvenues à l’usine, figuraient un peu plus de huit mille noms différents. « Duetto » a été finalement choisi, et Guidobaldo Trionfi, de Brescia, qui l’avait proposé, a remporté un cabriolet reçu des mains du président d’Alfa Roméo, en 1966. La première série de ce modèle, motorisée par un quatre cylindres 1300, 1600 ou 1750 est plus connue sous le nom de… Spider « Coda Ronda » (arrière arrondi) ou « Osso di Seppia » (os de seiche). Le patronyme « Duetto », lui, disparaît rapidement car ce nom avait été déposé auparavant par Pavesi, géant agro-alimentaire de Novara qui produisait une barre de chocolat répondant au même nom !

Carlos Tavares reproche aux autorités italiennes de ne pas soutenir le marché des véhicules électriques et d’introduire le loup dans la bergerie en courtisant BYD pour que le constructeur chinois s’installe dans la péninsule.

De Milano à Junior

Alfa a donc présenté la Junior… sous le patronyme Milano, le 10 avril dernier. Dès le lendemain, Adolfo Urso, ministre en charge de l’industrie et du « made In Italy » au sein du gouvernement Meloni, montait au créneau. Il précisait qu’une loi de 2003 protège le caractère italien de nombreux produits et que l’Alfa Romeo « Milano » ne la respectait pas. La décision ayant été rendue publique en décembre 2023, nul doute qu’en quatre mois les autorités auraient pu discuter de ce choix en privé avec le constructeur ? Que dit cette loi, au juste ? Elle précise simplement que tout produit manufacturé, réalisé ou assemblé ailleurs qu’en Italie ne peut utiliser un nom italien. Un peu comme avec les AOC françaises (Appellation d’Origine Contrôlée), cette loi rend par exemple impossible de fabriquer du fromage « Grana Padano » dans une laiterie espagnole, par exemple. Porter le nom d’une ville qui n’est absolument pas en lien avec le lieu de production d’une voiture est chose finalement assez répandue. Pensons au Kia Sorento, au Hyundai Santa Fe ou… à la Ford Cortina. Ici, la voiture n’a rien à voir avec la ville de Milan, tant pour sa production que pour son design : toutes ces activités sont désormais regroupées avec celles de FIAT, à Turin.

A la base de la nouvelle venue se trouve la plateforme ECMP2 de chez Stellantis. Elle est aussi par la 2008, et utilise le même moteur thermique 1.200cm3 qui est… français lui aussi! Même si le CEO d’Alfa a présenté les choses sous un angle plutôt romantique et déclaré avoir fait toute la lumière sur ce choix auprès des autorités italiennes, rien n’y a fait. Pour lui, il s’agissait de mettre en avant l’héritage de la marque dans la Péninsule et rendre hommage à la cité natale d’Alfa Roméo. Lors d’une consultation du public en ligne, Milano est arrivé en tête, suivi de… Junior. Alfa Romeo n’a jamais dit ou même suggéré que la voiture était assemblée à Milan ou en Italie, même si c’est bien dans ce pays qu’elle a été conçue et étudiée. « Made in Poland » est d’ailleurs clairement visible sur la voiture, figurant près du numéro de châssis repris sur un montant de porte. « Junior » fait bien entendu également partie de l’histoire d’Alfa. Dans la foulée du succès de la Guilia, la Guilia Sprint GT coupé, dessinée par Guigiaro et assemblé chez Bertone, était destinée à séduire une clientèle jeune avec une voiture de sport bon marché.

Dans les années 60, Alfa avait déjà fait appel au public afin de trouver un nom au nouveau cabriolet dérivé de la Giulia. Parmi plus de huit mille propositions c’est « Duetto » qui l’a emporté mais… c’était aussi le nom d’une confiserie qui avait déjà été dépose par Pavesi et… le cabriolet Alfa est passé à la postérité comme « Spider ». Sur cette photo, un exemplaire du Spider est remis par Giuseppe Luraghi, alors patron d’Alfa, à Guidoblado Trionfi dont la proposition, « Duetto », avait été choisie parmi des milliers d’autres.

La Junior 1300, première du nom, a été produite entre 1966 et 1975. Un second coupé, lui aussi dérivé de la Guilia mais beaucoup plus confidentiel, a aussi porté ce patronyme. Dessiné par Zagato et motorisé par un 1.300 ou un 1.600 cm3, il n’a été produit qu’en un peu plus de 1500 exemplaires de 1973 à 1975. Quant à la « Milano », il s’agissait de la 75 à moteur V6 Busso 3 litres destinée au marché nord-américain entre 1987 et 1989. Elle est l’ultime berline dérivée de la Giulia produite par la marque avant son intégration dans le groupe FIAT. Malheureusement, elle n’a pas laissé que de bons souvenirs, souffrant de nombreux problèmes de fiabilité (surtout électriques), qui ont finalement abouti au retrait de la marque sur ces marchés. « Junior » jouit donc d’une toute autre aura parmi les Alfistes et ce n’est certainement pas un mal pour assurer le succès de la nouvelle venue.

De son côté, le ministre Urso est le garant du caractère unique associé au « Made in Italy » et ne peut accepter qu’une Alfa baptisée Milano soit produite… en Pologne ! Qu’elle ait été étudiée et dessinée à Turin ne change rien à l’affaire, dura lex sed lex et Alfa Roméo a dû modifier le patronyme de son dernier modèle.

Victoire à la Pyrrhus

Même si le ministre Urso présente le changement de nom comme une victoire, la petite Alfa sera toujours bien produite en Pologne, aux côtés des Fiat 600 et Jeep Avenger. Selon Carlos Tavares, utiliser les installations polonaises du groupe permettrait de réduire les coûts de production de 10.000 € par voiture ! Mr Imparato, pour sa part, s’est déclaré confiant de gagner si jamais l’affaire était portée devant les tribunaux. Cependant, il a préféré apaiser la situation avec les autorités… la marque travaille désormais toutes affaires cessantes pour adapter sa stratégie de communication au changement de patronyme. Nul doute que cela va entraîner des frais conséquents pour Alfa Roméo mais… la paix du ménage Italie- Stellantis est à ce prix ! En conclusion, à l’heure où la mondialisation est de plus en plus poussée, face à la concurrence chinoise, la préférence nationale trouve de moins en moins sa place. Les groupes automobiles européens doivent donc trouver un nouvel équilibre. Celui-ci passera nécessairement par des modifications profondes de leur structure et la recherche d’une meilleure rentabilité s’avèrera encore plus cruciale à l’avenir. (Texte : Dimitri URBAIN, Photos : Stellantis Media, mimit.gov.it)

L’Alfa Romeo Milano est la version V6 3 litres de la 75 vendue aux USA et au Canada à la fin des années 80. Dernière berline Transaxle conçue par Alfa, sa boîte de vitesses se trouvait sur l’essieu arrière pour une meilleure répartition des masses. Sa carrière en demi-teinte a malheureusement été entachée par de nombreux problèmes de fiabilité. La Milano nouvelle mouture n’était pas prévue pour être vendue aux USA mais nul doute que « Junior » est plus approprié pour faciliter sa carrière sur tous les marchés auquel il est destiné.

Laisser un commentaire