
Comme chaque année, nous avons vécu la semaine mancelle en intégralité et comme chaque année, on a hâte d’y retourner. Parce que les 24 Heures du Mans est une course inimitable. Comme toujours, on patiente difficilement jusqu’aux premiers essais libres du mercredi en fin d’après-midi mais dès les premiers hurlements de moteurs, on oublie tout et on se plonge avec ferveur au cœur de la course. On analyse les premiers chronos, on guette les premières fautes, on se laisse happer par l’atmosphère unique de la plus grande course d’endurance au monde.

Une course contre la montre qui débute, pour les équipes et les pilotes, dès les opérations de pesage le week-end précédant l’épreuve. L’occasion d’y découvrir les dernières décorations et quelques surprises concernant les équipages. Cette année, c’est Rebellion qui fait parler d’elle avec des graffitis fluo venus recouvrir les carrosseries des deux LMP1 motorisées par des Gibson 4.5 V8. Loin de la sobriété des habillages habituels de l’écurie helvétique, ces robes vulgaires allaient de pair avec les véhicules vus à la parade des pilotes du vendredi (une Mc Laren, une vieille Cadillac…) et manquant totalement de bon goût. De bon goût, il en est heureusement question chez Dragonspeed dont la BR LMP1, arbore les célèbres couleurs de Gulf. Malheureusement, cette jolie voiture sera la première à abandonner en course, victime de sa boîte de vitesses.

Les autres surprises viennent du GT avec la première apparition des Ford dans leurs nouvelles couleurs alors qu’on penche personnellement pour les deux Ferrari 488 GTE aux couleurs de l’horloger Hublot et engagées en AM par le Kessel Racing. Les pilotes ont encore le sourire, le public est discipliné et essentiellement local parce que les Anglais n’ont pas encore envahi les rues du Mans.

Mes endroits-fétiches
Mercredi, les choses sérieuses débutent à 16h avec la seule séance d’essais libres proposées aux écuries qui avaient, il faut le dire, déjà foulé la piste au début du mois de juin pour une journée d’essais préliminaires. Nos postes d’observations privilégiés sont la première chicane des Hunaudières où l’on a le nez sur la zone de freinage avant de voir les bolides s’enfiler la chicane à fond les ballons. On aime aussi beaucoup le virage d’Indianapolis où les meilleurs retardent au maximum leur freinage et se retrouvent ainsi en plein appui à la sortie du droit de la forêt avant de plonger dans ce virage en banking et qui explique son nom. Un vrai piège qui fait toujours des victimes au cours de ce long week-end. Enfin, sur la butte extérieure du virage Porsche, au cœur d’un camping occupé par des fans anglais, on apprécie à sa juste valeur les différences de performances entre les prototypes et les GT, celles-ci étant obligées de couper la trajectoire pour aller chercher le virage du Pont. Moments chauds garantis ! Enfin le virage du raccordement, juste avant la ligne droite des stands, est toujours indicatif du peu de différence, dans le serré, entre les GTE PRO et les LMP2. Si le proto n’a pas doublé la GT avant de plonger dans ce double S, il sera à peine gêné jusqu’à la ré-accélération tant les GT sont rapides en courbes.

Comme toujours certains se distinguent durant cette première séance à l’image de Tracy Krohn, un richissime américain de 64 ans qui vient plier des caisses chaque année au Mans. Cette fois, il est sorti très fort dans les Hunaudières avec sa Porsche 911 RSR préparée chez Dempsey-Proton. Il ne recevra pas l’autorisation de prendre le départ pour raisons médicales et c’est probablement mieux ainsi. On sent que les voitures prennent de la vitesse au fur et à mesure que les pilotes sont en confiance mais la météo n’est pas prometteuse pour la première séance de qualifications disputée entre 22h et minuit. La luminosité se réduit lentement et les premiers chronos s’affichent. On se gave du hurlement des Porsche 911 et du gros ronronnement des Corvette. Les LMP1 privées et les LMP2 assurent la musicalité d’une course de bagnoles au contraire des Toyota TS050 Hybrid toujours aussi désespérément aphones. C’est logiquement l’une d’elles qui signe le meilleur chrono de cette première séance en 3’17”161 par Mike Conway. L’Anglais sera par la suite coupable d’un accrochage avec l’Oreca #31 qui redémarrait après un tête-à-queue dans la chicane du Raccordement. Signe avant-coureur ? la #8 d’Alonso n’est que 4e derrière deux LMP1 privées.

Logique respectée
Heureusement, les choses reviennent dans l’ordre le jeudi lors des deux dernières séances qualificatives. Les Toyota assurent le doublé sur la première ligne. C’est le japonais Kamui Kobayashi qui a signé le meilleur tour en 3’15’’497 au volant de la #7. La monture d’Alonso pointe alors à 0″400 tandis que la BR #17 du SMP Racing prend la troisième place avec un chrono de 3’16’’159. En LMP2, c’est l’Oreca #28 du TDS Racing qui est la meilleure avec un temps de 3’25’’345. On signalera encore la belle pole position d’une Aston Martin Vantage AMR en GTE PRO mais pas celle de Maxime Martin. Malheureusement, cela leur vaudra une mise à niveau de la BoP juste avant la course ce qui allait réduire toutes les chances des bolides anglais durant l’épreuve.

Les moteurs se taisent jeudi soir, sur le coup de minuit et le calme envahit à nouveau la piste pour quelques heures. On rentre tard du circuit parce qu’il y a des embouteillages au stade MMA et cela nous met déjà dans l’ambiance de la longue nuit mancelle. Le vendredi, la traditionnelle parade prend ses quartiers au centre du Mans mais force est d’avouer que celle-ci tourne de plus en plus à la foire régionale. Cela manque de rythme, de fantaisie, les spectateurs s’ennuient très vite et les commerces locaux n’y ont vraiment pas leur place, pas plus que l’école de coiffure. C’est regrettable de gâcher un si bel outil qui pourrait s’inspirer, par exemple, de la caravane du Tour de France. Quoi qu’il en soit, la longueur de cette manifestation est définitivement exagérée…

En revanche, quelle ambiance dans les petites rues mancelles une fois la nuit tombée ! La musique est partout, les DJ d’un soir envahissent les balcons de certaines habitations et la jeunesse fait la fête. Nos amis anglais ne sont pas les derniers à boire des bières mais il ne faut pas se laisser piéger, le week-end est encore long et il faut conserver quelques cartouches par devers soi.

Que retenir de la course ?
La première bonne raison pour se rendre au mans cette année, c’était pour assister à la très belle course de notre compatriote John Wartique en Ferrari Challenge disputée le samedi matin, peu après 10h. Parti 9e, il profitait d’un crash à la première chicane pour jaillir au troisième rang à la sortie de celle-ci. Par la suite, il ne résistait pas à l’Anglais Smeeth et terminait 4e alors qu’il n’avait plus mis les roues sur un circuit depuis 2016. Chapeau l’ami!

Mais revenons à cette 87e édition des 24 Heures du Mans qui ne restera pas dans les annales pour la qualité de son suspense sur la piste mais qui valait, malgré tout, le déplacement. Ne fut-ce que pour profiter, une avant-dernière fois, des LMP1 en piste avant l’arrivée d’une catégorie appelée Hypercar qui nous laisse encore dubitatif, ne serait-ce qu’à cause de l’introduction d’une BoP dans la cartégorie reine. La présence des prototypes sur le grand circuit participe à la légende des 24 Heures. Et personnellement, je ne garde pas un grand souvenir des Mc Laren et autres Porsche GT1. Venir au Mans cette année, c’était avant tout pour assister à la première participation très réussie de Stoffel Vandoorne à bord d’une BR1 avec laquelle il signera une vitesse maximale de 350,1 km/h, le record depuis la création du WEC en 2012! Stoffel y est également pour beaucoup dans la troisième place de la LMP1 #11 à l’arrivée, la seule LMP1 privée à avoir passé moins d’une heure au stand.

En LMP2, la course s’est rapidement circonscrite à un duel entre l’Alpine #36 et l’Aurus #26. Auteur de cinq relais consécutifs avec deux trains de pneus Michelin, Nicolas Lapierre a assommé ses adversaires et seuls Jean-Eric Vergne parvenait à s’accrocher aux échappements de la belle bleue. Las, dimanche, vers 9h du matin, l’Oreca rebaptisée Aurus tardait à redémarrer de son stand et abandonnait là toute chance de victoire. L’Alpine ne demandait pas son reste et s’en allait cueillir une nouvelle victoire mancelle (la 3e en 4 ans) tandis que Lapierre remportait ses quatrièmes lauriers manceaux en LMP2. Avec huit voitures dans le Top10, Oreca a, une nouvelle fois, démontré qu’elle était bel et bien la marque immanquable lorsqu’on veut s’imposer au Mans.

Vive les GT !
De spectacle, il en fut heureusement question en GTE PRO. Comme l’an passé, on a eu droit à un affrontement royal entre six constructeurs. Enfin, quatre parce qu’une nouvelle fois, Aston martin et surtout BMW, ont été inexistants. En signant la pole position lors des qualifications, la marque de Gaydon a peut-être entraîné la fin de ses espoirs puisque la BoP était rectifiée avant le départ. Résultat : les jolies Vantage AMR voyait la capacité de leur réservoir réduite de 2 litres tout en étant obligée de baisser leur pression de turbo de 0,03 bar. Des pénalités qui auraient entraîné la dégradation précoce des pneus. De là à expliquer la sortie d’Alex Lynn, l’équipier de Maxime Martin, à la sortie des virages Porsche peu après minuit ou encore celle, très violente, de Sorensen à Indianapolis…

Chez BMW, c’est encore pire. Pour sa dernière participation au WEC, la firme bavaroise n’a jamais joué les premiers rôles. Les M8 ont ainsi tiré leur révérence en toute modestie. Autre marque appelée à disparaître de la Sarthe l’an prochain, Ford a tenté de résister jusqu’au bout mais depuis sa victoire en 2016, jamais plus la GT américaine n’a été autorisée à jouer franchement la tête. La faute à un concept en totale opposition avec l’esprit de la catégorie à savoir, une voiture conçue pour la piste devenue par après une voiture de route. Voir ces jolies américaines se démener sur la piste pour garder le train des meilleurs aura, une nouvelle fois, participé à la légende des 24 Heures surtout la nuit, où leur éclairage personnalisés fait fureur.

Ce sont donc trois marques qui auront eu l’espoir de l’emporter cette année même si Porsche s’est montrée nettement moins à son aise qu’en 2018. Deuxièmes et troisièmes du GT, Lietz-Bruni-Makowecki et Pilet-Tandy-Bamber n’étaient pourtant pas les plus rapides du clan Porsche. En effet, Estre, Christensen et notre compatriote Laurens Vanthoor, vainqueurs en 2018, étaient à nouveau les mieux affûtés mais un soucis d’échappement dans la nuit condamnait définitivement la #92. L’an prochain, on devrait voir apparaître une 911 RSR Evo qui mettra malheureusement fin à la sonorité stridente du modèle actuel…

Restaient alors la Corvette C7.R de Garcia-Magnussen-Rockenfeller et la Ferrari 488 GTE EVO de Calado-Pier Guidi-Serra. Loin d’être la plus véloce, la belle italienne parvenait à se maintenir dans le groupe de tête en évitant certains vibreurs et en étant toujours bien placée lors des sorties des voitures de sécurité. Mais c’est une erreur de Jan Magnussen dans les virages Porsche, à bord de la Corvette #63 qui mettra fin au combat, peu avant midi. Pour la vieillissante Corvette C7.R, il s’agissait également d’une dernière représentation puisqu’elle sera remplacée par la C8 au moteur central arrière, un V8 biturbo qui sonnera le glas du V8 rageur. La fin d’une époque.

Voilà pour le bilan de cette édition 2019. Le public ne s’y est pas trompé et même si l’ACO annonce encore 252.500 spectateurs, on a eu le sentiment, toute la semaine, d’une certaine tranquilité. Les campings se remplissent plus tard, les danois ne sont plus là, l’ambiance est un peu retombée autour du circuit. Mais Le Mans ne meurt jamais et même s’il faut encore vivre une année de transition en 2020, on peut déjà rêver d’une belle affiche au sommet pour l’année suivante entre Aston Martin et Toyota… en attendant les autres.
