Reportage exclusif: En visite chez Tony Gillet

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A 72 ans, Tony Gillet conserve la verve et l’enthousiasme qu’on lui a toujours connu. Il nous a reçu dans ses ateliers de Gembloux où il faisait encore calme, ses mécaniciens étant tous en vacances avant une fin d’année qui s’annonce plutôt chargée pour le petit artisan wallon. Une belle occasion de revenir, en compagnie de ce sémillant septuagénaire, sur une aventure à nulle autre pareille.

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“Tout a commencé en 1992, 25 ans plus tôt, nous étions encore en ville, aux portes de Namur. Un garage tellement étroit que notre Vertigo actuelle n’y serait jamais entrée. D’ailleurs, mes mécaniciens n’osaient jamais me guider parce que nous avions un centimètre de chaque côté pour rentrer la voiture. Une fois sur deux, on touchait… pour l’instant, c’est très calme avant un gros boulot qui débutera en septembre.”  

En 1992, Tony présente son premier prototype. Un exemplaire qui fut détruit par un journaliste, non pas lors d’un essai mais plus modestement, lors d’un mariage.

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“Quelqu’un l’a racheté il y a dix ans et nous aimerions bien le reconstruire à l’identique. Il faut savoir que la Vertigo a été la première voiture de route avec un châssis en carbone jusque avant la Mc Laren F1 dont nous ignorions l’existence. Avant, je faisais de la course de côte et j’avais déjà travaillé les matériaux composites puisque je roulais avec la F2 ex-Jabouille avec un V6 Renault. A l’époque, tout le monde me disait que j’étais fou. Il a fallu faire des milliers de pare-brise, créer des jantes, avant de passer le crash-test à l’UTAC à Montlhéry. C’était le gros stress parce que personne n’avait jamais expérimenté cela avec un châssis carbone mais nous avons réalisé les cinq tests avec le même châssis ce qui était unique! A l’époque, on lançait la voiture avec des élastiques dans un mur et de face.”

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Pour faire connaître la voiture, Tony décide alors de se déplacer aux USA lors du Salon de Detroit mais pour y être invité, il fallait se distinguer. Et très vite, l’idée de battre le record mondial du 0 à 100 km/h est apparue comme une évidence à l’ancien détenteur de ce titre à bord d’une Donkervoort. 

“A l’époque, les policiers ralentissaient la circulation et nous en profitions pour utiliser l’autoroute pour réaliser nos chronos. Nous faisions demi-tour via la berme centrale pour refaire le 0 à 100 km/h de l’autre côté. Comme toujours, nous étions pris par le temps et l’argent. L’auto est partie aux USA avant que le record ne soit homologué. Grâce à ce titre, nous avons été au centre de la manifestation. Le temps était de 3″966… Arrivé là-bas, cela nous avait fait une publicité incroyable mais il a fallu mettre un grand panneau pour préciser que l’auto était homologuée pour la route et qu’elle était commercialisée. On a alors vendu une voiture à un Tchèque. Nous avons été reçus par le roi Albert qui a toujours été passionné de belles voitures.”

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Ensuite, il y a eu l’aventure Philippe Streiff qui est venu chez Gillet pour se faire construire une voiture utilisable alors qu’il était tétraplégique. La petite équipe belge a réussi à lui construire une voiture équipée d’un joystick.

“Je me souviens qu’il avait un Renault Espace adapté à son handicap mais nous sommes allés plus loin puisqu’il n’y avait plus de volant ni de pédales dans sa Vertigo.  Pour la mettre au point, j’ai appris à conduire avec le joystick. Au début, c’est très doux mais lorsqu’il s’agit de freiner en tournant, cela se complique. Il a fait le tour du circuit de karting à Paris mais le public ne se rendait pas compte qu’il roulait sans volant. Sa femme m’a dit ce jour-: il est de nouveau pilote!” 

En 1995, on a été approché par Eric Van de Vyver pour réaliser une Vertigo de course mais il fallait modifier les ailes et le capot avant. L’auto a fait ses débuts en 1996 dans diverses courses réservées aux GT. En 1997, nous avions été pré-seléctionnés pour les 24 heures du Mans mais un changement de pont va immobiliser l’auto pendant cinq heures lors des essais pré-qualificatifs et Eric signera finalement un 4’24″156 insuffisant pour qualifier la voiture… Par la suite, la Vertigo remportera trois titres mondiaux en GT2.

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“Nous avons également été les premiers à faire des portes en élytre. Maintenant, toutes les supercars ont adopté ce système. Au début, nous avions choisi le Ford Cosworth et ses 220 ch. Puis on l’a poussé à 450 pour le record. Il y eut alors le petit 3.2 V6 Alfa de la GTA. Il était très performant en course et c’est avec lui qu’on a signé nos meilleurs résultats. On tournait en 2’24” à Francorchamps. Ensuite, nous sommes passés au moteur Maserati donné pour 420 ch. En 2011, elle est renommée Vertigo .5 Spirit et s’approche de plus en plus d’une Supercar avec un programme de personnalisation permettant de faire passer le poids de 990 à 940 kg et le moteur de 420 à 500 ch.” 

En 2008, le team s’est dissout alors qu’ils étaient champions en GT2 parce que l’équipe de Marc VDS souhaitait désormais viser les victoires au général avec des Ford GT. Deux ans plus tard, Gillet a été contacté par le carrossier italien Zagato après de longues négociations.

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“Nous devions adapter notre châssis à leur carrosserie en aluminium pour créer l’Alfa Romeo TZ III présentée aux concours d’élégance de la Villa d’Este mais aussi à Goodwood. Elle a remporté le concours dans la catégorie prototype. Il était prévu d’en construire une petite série mais le client n’en voulait qu’une! Cela nous a néanmoins ouvert des portes et après cela, il y a eu la Zagato Mostro en 2015. A l’époque, Stirling Moss a participé aux 24 Heures du Mans en 1957 avec une GT italienne surnommée “Mostro” (en fait une Maserati 450S dessinée par Costin, un ex-avionneur de chez De Havilland, et construite par Zagato). La version de 2015 s’en inspire. Cette fois, nous en avons construit cinq et elles sont vendues un million hors taxes.”

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Comme les supercars actuelles, la Vertigo est en effet construite autour d’une baignoire en carbone sur laquelle viennent se fixer les suspensions, la transmission et le moteur.

“Les pièces sont taillées dans la masse. Nous utilisons des moyeux SKF que vous retrouvez sur les Mc Laren et les Ferrari tandis que nous optons pour des freins AP Racing. Dès le départ, nous avons fait des suspensions in board à l’arrière mais avec le moteur Maserati ou encore pour les Zagato, nous avons opté pour le même principe de suspensions à l’avant. La boîte est une Quaife 6 vitesses séquentielles mécaniques. Le radiateur est fortement incliné et cela nous a bien aidé lors du fameux crashtest. Je peux rouler avec un châssis sans carrosserie. On les envoie en Italie où l’assemblage avec les carrosseries Zagato est réalisé.”

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Une collaboration qui se perpétue puisqu’il s’agit de construire à nouveau un rolling-chassis pour Zagato qui doit être construit pour le mois de février avant une nouvelle série de cinq voitures qui seront terminées en 2019. Nous supposons qu’il s’agit d’un showcar qui apparaîtra au Salon de Genève 2018. Et Tony Gillet se projette déjà plus loin avec un projet de moteur électrique pour un châssis roulant destiné à Zagato pour fêter ses 100 ans en cette même année 2019… 

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“En 25 ans, nous avons construit 30 Vertigo plus les six Zagato et la VDS… nous avons dû nous diversifier et parmi nos réalisations, nous sommes plutôt fiers du toit en plexiglass construit pour le mariage de Philippe et Mathilde. Nous ne disposions pas de la Mercedes en question mais nous avons pu nous entraîner sur la 600 Landaulet du roi Baudoin. Comme nous devions aller très vite, nous avions mis beaucoup de durcisseur et il a fallu arroser pour ne pas qu’il prenne feu. Nous en avions fait trois et c’est le deuxième qui s’est le mieux adapté…”

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Il y eu également des 4×4 pour le Dakar à l’image des Nissan, à l’époque de Grégoire de Mévius, ou encore des Pro-Trucks comme celui de Vigouroux sans oublier des prototypage de pièces en carbone pour Airbus. 

“Grâce à Zagato, nous avons d’autres contacts avec de grandes maisons de design parce que la Mostro est homologuée comme une Gillet Vertigo et non une Zagato. Cela dit, ce n’est pas moi qui met le plus d’argent dans ce projet. J’attends toujours de trouver un repreneur… même si on me dit toujours que l’argent n’est pas un problème. En attendant, je suis parvenu à faire vivre 14 personnes et j’en suis plutôt fier. En fait, construire une Vertigo, c’est un peu la cerise sur le gâteau. Comptez 200.000 euros pour une voiture neuve sans tenir compte des personnalisations.”

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Pour ceux qui se poseraient la question, Tony nous a également raconté d’où venait la dénomination de sa Vertigo.

“Au départ, j’avais Hurican en tête. Mais ma fille, réalisatrice à la télévision belge, est rentrée un jour à la maison en me parlant de vertigo, comme le film d’Hitchcok. Mais c’est également le vertige des aviateurs lorsqu’ils font trop d’acrobaties. A l’époque, j’avais également parlé avec le papa de Renaud Kuppens, qui possédait plusieurs Mc Do, et qui m’avait dit que pour qu’un nom frappe les esprits, il fallait qu’il se termine par “O” ou “A”. Et ce qui est incroyable, c’est que ce mot est prononçable dans de nombreux pays. Que vous soyez chinois, américain ou autre… et il m’a fallu pas mal de temps avant de parler d’une Gillet Vertigo. Pour moi, c’était une Vertigo!”

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Dans l’atelier, nous avons découvert trois Vertigo mais également des ancêtres. Une Alfa, une Osca ou encore une réplique de Ferrari 250 LM. C’est également grâce à ces activités que Gillet peut survivre. Nous avons également découvert deux coques très usées. Celle de la première Vertigo mais aussi celle de la voiture de course…

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“En parlant de course, s’il est un pilote qui m’a marqué, c’est bien Maxime Martin qui avait roulé pour nous aux 24 Heures de Francorchamps en 2008, pour les 15 ans de la marque. Renaud Kuppens avait également un solide coup de volant. Et puis je me souviens d’un abandon à 15h45 toujours à Spa mais en 2002. A 14 heures, Fanny Duchateau se parque le long des rails au-dessus du Raidillon, suite au détachement de la rampe d’injection. Conseillée par nos mécaniciens, elle répare avec ses lacets, parvient à repartir et rejoint le stand sous les applaudissements du public. On arrête l’auto à 15h30 pour qu’elle termine la course mais elle arrive au-dessus du Raidillon et l’auto s’enflamme. Fanny retire son casque alors qu’elle aurait pu repartir. C’était des boules de gomme prises dans les pontons. Un coup d’extincteur et l’auto serait repartie!”

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Vous l’aurez compris, à 72 ans, Tony a encore des projets plein la tête et nous devrions encore entendre parler de Gillet dans les prochains mois…

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