Le patron de Renault, Luca de Meo, est italien… les sportives il a ça dans les veines et après un passage chez SEAT où il a mis CUPRA sur les rails, il veut désormais faire d’Alpine le pendant du prestigieux constructeur transalpin. Pari fou ou mission impossible ? (Par Dimitri Urbain)
Un symbole de la France des Trente Glorieuses
Alpine a été créée par Jean Rédélé en 1955. Au départ, celui qui était alors le plus jeune concessionnaire Renault de France voulait construire un petit coupé sportif. Son but, en utilisant un maximum de pièces de 4CV, était de participer à des compétitions comme le rallye de Monte Carlo, le Tour de Corse ou les Mille Miglia. Si possible en s’illustrant avec des victoires de classes, de groupe… Le patronyme de l’une des premières Alpine, la Mille Miles, vient d’ailleurs tout droit de la fameuse épreuve routière italienne. La marque de Dieppe a bâti sa renommée avec l’incontournable Berlinette, A108 puis A 110, réutilisant des éléments de Renault 8 Gordini. Le sommet de la gloire est arrivé en 1973, lorsque Alpine a remporté le championnat du monde des rallyes. Ensuite, Renault a pris un contrôle toujours plus important du petit constructeur, au point de totalement l’intégrer. Les A310 puis GT, GTA… n’ont jamais vraiment connu un succès important, surtout face à leur éternelle rivale, la 911. Après plus de vingt ans d’arrêt, Renault s’est associé à Caterham afin de développer une nouvelle Alpine. Le petit constructeur britannique s’est finalement retiré du projet mais Renault a continué d’y travailler seul. Le résultat est l’A110 actuelle, l’une des voitures sportives les plus attachantes du moment, esthétiquement réussie et respectant l’ADN de la marque avec son moteur central arrière. Le châssis est à la hauteur de la réputation de Renault Sport, une merveille pour amateurs. Néanmoins, de là à en faire le Ferrari français, il y a un pas !
Une vision radicale
Luca de Meo n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, au moins un tiers de la gamme Renault est vouée à disparaître mais il voit un potentiel énorme de développement chez Alpine. Cependant, avec un seul modèle et des ventes s’établissant à un petit millier d’exemplaires cette année, nous sommes bien loin des chiffres des Porsche Cayman. L’une de ses premières grandes décisions a été de rebaptiser le team de Formule 1 Renault en Alpine pour la saison 2021. Voilà toujours une bonne chose pour la visibilité du nom. Pour lui, associer l’excellent travail d’ingénierie et de développement réalisé par le team de F1 avec l’artisanat d’Alpine est le meilleur moyen de concrétiser son rêve de créer un « mini Ferrari » à la française.
D’ici à ce qu’Alpine atteigne un prestige et une reconnaissance proche de celle de Ferrari parmi les amateurs et connaisseurs… mais saluons ce pari ! Luca De Meo a donné quelques indications sur l’avenir d’Alpine, déclarant récemment que la marque pouvait apporter une certaine émotion à la gamme électrique de Renault. Le mois dernier, il a rédigé une note dans laquelle il demande qu’Alpine s’engage dans un programme de développement façon Porsche 911 et étudie toute une série de véhicules électriques de niches, rentables à fabriquer et à vendre. Cependant, bien qu’il compare Alpine à des grands noms prestigieux, il veut rester modeste sur les volumes tout en déclarant qu’à terme, pourquoi ne pas produire un million de voitures sous la marque ?
Renault dans la tempête
Renault ne va pas très bien, ayant perdu plus de 7 milliards d’euros sur les six premiers mois de cette année et depuis le départ de Carlos Goshn en 2018, l’alliance avec Nissan a plusieurs fois été remise en cause. Constructeur généraliste, Renault est en proie à une très vive concurrence sur des segments du marché où les marges sont très faibles. Goshn voyait la résurrection d’Alpine comme un bon moyen d’amener un peu de prestige à Renault.
Cependant, les ventes de l’A 110 ne sont pas au niveau escompté. Depuis la présentation de l’A 110 en 2017, 4835 exemplaires seulement avaient trouvé preneur fin 2019. Très récemment l’usine de Dieppe, berceau historique d’Alpine, a été épinglée pour sa sous-utilisation, un fléau qui touche de nombreux sites d’assemblages automobiles en Europe. Alors que la capacité journalière du site est de 32 voitures, la production atteint péniblement 7 exemplaires… Et si les Alpine ne sont pas bradées, avec des tarifs proches des 70.000 €, il y a loin de la coupe aux lèvres lorsque les Ferrari débutent plutôt vers les 180.000 €.
Que penser de tout ça ?
Soyons clairs, nous sommes des amateurs de sportives et Alpine, la marque, comme l’A110 actuelle, nous les aimons bien. Néanmoins, quel est l’avenir de la marque avec un seul modèle ? Comment faire évoluer et remplacer l’A110 ? Surtout dans un contexte ambiant autophobe, en France où tout ce qui est sportif et touche à l’automobile est considéré par les autorités comme pestiféré. Un scénario à la Porsche semble le plus plausible, avec des vaches à lait qui se vendent bien, avec des marges confortables, pour continuer à développer un modèle sportif dont l’image rejaillit sur le reste de la gamme. C’est ce qui se passe avec les Cayenne et autres Macan développés sur des bases communes du groupe VW, afin de financer le développement de voitures plus sportives destinées à des vrais amateurs comme les Boxster, Cayman et la 911, bien entendu. A l’heure où Aston Martin et Ferrari se mettent aux SUVs, pourquoi pas ? Actuellement, il est clair qu’Alpine ne peut espérer rivaliser avec Porsche, sans gamme, sans SUVs… Utiliser Alpine pour créer des versions plus dynamiques voire sportives de modèles électrifiés, c’est peut-être un bon moyen de pérenniser la marque sur le long terme. A quand une Zoé « Mille Miles » avec une autonomie de 1600 km ? Pourquoi pas ?
A condition de ne pas refaire les mêmes erreurs que par le passé, en sous-finançant le développement et les études, en négligeant la qualité et en laissant les propriétaires terminer la mise au point et en n’appuyant pas le plan avec des moyens de communication conséquents. Citroën a essayé de lancer DS comme marque premium, pour le moment nous sommes encore bien loin du compte. Il y a une dizaine d’années Renault a vainement tenté de relancer Gordini sur des Twingo et Clio RS. L’idée était bonne mais elle n’a séduit que quelques quinquas et sexagénaires en mal de sensations car qui, dans les jeunes générations, se souvient encore de la bombinette bleu France avec ses deux bandes blanches décalées ? Espérons que ce retour et ce développement d’Alpine soit soutenu financièrement comme il se doit, sous peine de nous la jouer comme le 347ème sauvetage d’une autre marque italienne bien appréciée… et ne jamais arriver, malheureusement.