Les autorités européennes ont fixé des objectifs très ambitieux aux constructeurs automobiles en matière d’émissions et de rejets. En 2021, les rejets de CO2 ne pourront dépasser 95g/ km sous peine d’amendes très lourdes… Ensuite, par rapport aux chiffres de 2021, les émissions de CO2 devront encore baisser de 15% en 2025 et… à nouveau de 35% à l’horizon 2030. Ce qui revient à un taux d’émission moyen pour l’ensemble d’une gamme de l’ordre de 62g/ km, alors que la valeur de 95 g/ km est déjà très difficile à atteindre. Si, par le passé, les réductions forcées des niveaux d’émissions ont permis d’enregistrer de nombreuses avancées technologiques, cette nouvelle offensive des autorités pourrait, au contraire, se solder par une destruction de l’industrie automobile européenne… avec la bénédiction des milieux écologistes radicaux qui préconisent un retour à l’âge de pierre ! (Par Dimitri Urbain)
La position des constructeurs
Du côté des constructeurs, écartelés entre les effets du Dieselgate, les acheteurs le boudant désormais de plus en plus, la mode des SUVs (dont la part dans les ventes devrait atteindre 33% en 2020) et la nouvelle procédure de test d’émissions, on tente vainement de modérer les ardeurs politiciennes. Représentés par l’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles), ils mettent en avant la marche forcée beaucoup trop rapide, la perte d’emplois liés à la fabrication des moteurs thermiques et la destruction d’un modèle économique sur lequel leurs activités sont basées. Les constructeurs plaident plutôt pour une réduction de 20% des émissions de CO2, sur base de la moyenne de 2021 puis… on verra ce qu’il y aura lieu de faire : sur base des évolutions technologiques et aussi en fonction de la part de l’électrique dans les ventes.
Ce qui leur est imposé est un niveau de ventes de l’ordre de 35% de véhicules à émissions zéro et basses en 2030. Les constructeurs sont véritablement sur le fil du rasoir, entre la volonté d’éviter les amendes à partir de 2021 mais aussi d’obtenir des taux d’émissions relativement élevés afin que le travail soit moins difficile entre 2025 et 2030 ! Certains y sont parvenus avec, d’une part, des résultats d’émissions assez faibles selon le protocole de l’ancienne procédure de test NEDC, et, d’autre part, en se basant sur la nouvelle procédure WLTP pour établir une base de travail, plus élevée, pour atteindre l’objectif 2030.
La quadrature du cercle…
Cette nouvelle procédure de test WLTP vient encore compliquer les choses. En comparaison avec l’ancienne manière de procéder, les consommations moyennes, plus proches de la réalité, ont augmenté entre 9 et 17%, en fonction des constructeurs. A titre d’exemple, une VW Up GTI, testée à 110 g/km dans la procédure NDEC, passe à 129 g/ km avec la procédure WLTP… inutile d’imaginer ce que ça peut donner avec des voitures de catégories supérieures ! Les petits constructeurs, dont les ventes sont inférieures à 300.000 unités annuelles en Europe (comme Honda, Mazda, Mitsubishi, Suzuki ou encore Jaguar Land Rover) bénéficient d’une dérogation mais la volonté des autorités est de la voir disparaître à l’horizon 2030. L’ensemble de la branche devra atteindre 95 g/ km d’émissions moyennes mais il existe de grandes disparités basées sur la taille, le poids des véhicules ainsi que leurs chiffres de ventes annuelles.
A titre d’exemple, Jaguar Land Rover s’en sort avec 132 g/ km car les ventes en Europe sont inférieures à 300.000 véhicules/an et qu’ils sont d’une taille supérieure à la moyenne. A contrario, FCA (Fiat Chrysler Automobile) doit atteindre 91,1 g/km, ce qui équivaut à présenter des consommations moyennes de… 3,62l/ 100 km pour l’ensemble de la gamme ! Le très récent « rapprochement » de FCA avec Tesla n’est que la première étape car d’autres constructeurs européens et groupes n’auront pas le choix, ils devront s’associer avec des constructeurs chinois spécialisés dans l’électrique pour atteindre les objectifs fixés par les autorités. Ce qui aura pour effet d’ouvrir les portes du marché européen à certains constructeurs qui n’attendent que ça pour se développer à l’exportation.
Du côté des constructeurs, bien évidemment, le discours est positif. Ainsi, chez BMW, on espère que les ventes des véhicules électriques se développeront de manière significative d’ici 2021. L’arrivée de nouveaux véhicules hybrides en 48V pourrait éviter à certains constructeurs de devoir payer ces amendes énormes tout en se révélant finalement moins coûteux (20%) à produire que des diesels équivalents. Néanmoins, des analystes avisés estiment que les ventes de véhicules 100% électriques ne dépasseront pas les 5% du parc en 2021 et ces hybrides 48V pourraient ne représenter que 10% des ventes. Fin 2017, un rapport indiquait que seuls JLR, Volvo, Toyota et Renault Nissan tireraient leur épingle du jeu en 2021. A contrario les groupes Volkswagen, PSA, FCA, Ford, BMW, Daimler et Hyundai- Kia seraient en difficulté. Et avec des amendes s’élevant à 95€/ gr pour les émissions supérieures à la limite prévue par véhicule vendu, on parle ici de sommes astronomiques comme plus d’un milliard d’Euros pour VW, plus de 300 millions d’Euros pour Ford. Des sommes dont ces constructeurs auraient bien besoin pour les investir dans la recherche et le développement ! Les autorités européennes vont- elles consacrer ces sommes au développement d’une infrastructure de rechargement électrique importante ? Nous en doutons…
La fin des citadines ?
Les constructeurs sont lucides, si la Commission Européenne continue avec de tels objectifs, il est clair que la production de citadines se révèlera impossible à rentabiliser… sans même parler de tous les dispositifs de sécurité qui vont prochainement également devenir obligatoires. Le bénéfice net sur une citadine est déjà très réduit actuellement : il est estimé à environ 150 € pour le constructeur et autant pour le distributeur. Dans l’équation intervient également un bénéfice d’environ 150 € sur les entretiens mais peu d’acheteurs continuent à fréquenter les réseaux de marques une fois la garantie terminée.
L’une des façons d’être rentable sur ce segment, c’est en produisant en grande quantité… des voitures les plus proches possibles, comme les VW Up, Skoda Citigo et Seat Mii. Leur meilleure année, 2013, a vu la production s’élever à 202.000 unités. Une autre façon d’être rentable est de positionner la voiture comme un accessoire de mode, d’utiliser les bonnes vieilles ficelles des séries limitées pour augmenter l’intérêt dans la voiture et la vendre en plus grand nombre, plus longtemps et favoriser les achats d’accessoires et d’options… comme Fiat avec la 500. La marque a présenté celle qui devrait remplacer la Panda lors du dernier salon de Genève, un modèle électrique, mais Fiat compte bien encore commercialiser la génération actuelle à ses côtés un certain temps.
Au Japon, les constructeurs doivent se conformer à la réglementation stricte des Kei cars, qui peuvent être achetées sans devoir justifier d’un garage ou d’un emplacement de parking, vu leurs dimensions réduites. Une voie à suivre ? Peut-être pas car leurs résultats aux crash tests version européenne ne sont pas très bons. Alors que de plus en plus de gens habitent en zone urbaine, est-ce censé d’abandonner ce marché ? Le partage des véhicules pourrait-il rendre cette catégorie plus profitable pour les constructeurs ? Quand on voit ce que Smart a coûté à Daimler pour ne jamais engranger de profit, on peut raisonnablement en douter. Chez Seat on pense que des voitures électriques de petite taille, genre au Twizy, louées à la minute d’utilisation, pourraient sauver le segment des citadines. A raison de 20 cents/ km, pour des distances de 250 à 300 km/ jour, cela représente environ 15.000 € de revenus en 3 ans et cela s’avérerait bien plus profitable que de vendre la voiture à un acheteur privé.
Ce n’est pas un hasard si 30% des voitures électriques vendues en Chine sont des citadines. Elles ne sont pas aussi profitables que des SUVS, certes, mais elles permettent de mieux répondre aux problèmes environnementaux auxquels les constructeurs sont confrontés. La demande en Europe est passée de 12% du marché en 2009 à moins de 8 en 2018, soit une réduction de volumes de 1.800.000 à un peu plus de 1.000.000 d’unités. Pour les 7 dernières années, les ventes oscillent entre 1.150.000 et 1.250.000 unités. En 2018, les émissions moyennes des citadines étaient de 105,5 gr/ km ; alors que celles des SUV les plus petits étaient de 122,3 gr/ km.
Ce qui veut dire que pour les constructeurs, la catégorie des citadines est essentielle afin de réduire les émissions moyennes à court et moyen terme, surtout que l’électrification du parc prend beaucoup plus de temps que certains politiciens le voudraient. La moitié des citadines étant immatriculées par des société de location ou comme voitures de société, les marges sont donc encore plus sous pression. C’est pour cette raison qu’il est de plus en plus vrai qu’il faut les produire dans des pays où les coûts de productions sont réduits ou sous forme de coopération (comme celle de PSA et Toyota). Le futur de la Twingo, des C1/108/Aygo et de l’Opel Adam ne sont pas bien rose… chez Volkswagen, le responsable des ventes et du marketing, Jürgen Stackmann, est bien clair : les réglementations sur les émissions vont éliminer les citadines telles que nous les connaissons et apprécions.
Dans le cas de la Up!, soit elle devient électrique (et beaucoup plus chère !) soit elle disparaît du catalogue. Ces voitures font preuve d’ingéniosité et d’inventivité, permettent à 4 personnes de voyager relativement à l’aise, leur résistance aux accidents est tout à fait convenable et elles se vendent à des prix attractifs. Plutôt plaisantes à conduire, disposant d’assez de puissance pour procurer du plaisir sans toutefois devenir dangereuses et sont à l’aise tant en ville que sur route. (on ne peut en dire autant de certains SUVs…)
Si elles deviennent des accessoires de mode, bardés de technologies bien chères, qui pourra encore les acheter ? Les jeunes pourront-ils encore les assurer ? La Commission européenne affirme que les inévitables augmentations de prix de vente des futurs modèles seront compensés par une diminution de la consommation. L’exemple pour une citadine est un surcoût de 419€/ voiture en 2030, alors que l’économie de carburant est estimée à 1159€/ an… nous demandons bien entendu à voir ! Pour reprendre la formule de Colin Chapman, « light is right » mais à l’heure actuelle les constructeurs, poussés par des législateurs obnubilés par un agenda trop politique, font tout l’inverse !