Son nom ne vous dit certainement rien… pourtant, Tom Karen est un designer très éclectique et toujours actif à plus de 95 ans ! Aucune des voitures qu’il a dessinées n’a marqué véritablement l’histoire de l’automobile comme étant un « chef d’œuvre reconnu ». Son but n’a jamais été de concevoir des voitures « à la mode » mais plutôt de leur donner un côté pratique et qu’elles soient fonctionnelles.

Fuir le nazisme…
Thomas Josef Derrick Paul Karen (Kohn) est né à Vienne en 1926. Son père, entrepreneur dans le domaine de la construction, est financièrement aisé. Il aime les voitures et possède une Bugatti, entre autres choses. Enfant, Tom reçoit une Bugatti Baby, une 35 à l’échelle équipée d’un moteur électrique. Il doit quitter la Tchécoslovaquie à l’âge de 13 ans, pour fuir les nazis. Son nom de famille est d’origine juive et, même si ses parents ne sont pas pratiquants, ils n’ont pas le choix… et fuient la persécution. La famille déménage d’abord vers Prague, espérant que la ville serait sauvegardée et qu’ils pourraient y vivre en paix. Très rapidement, ils doivent déchanter et reprendre la route. Le père de Tom ayant des contacts au sein de l’armée de l’air Tchèque, il peut traverser la Pologne pour arriver en Suède et finalement rejoindre la Grande-Bretagne en 1942.

Accompagné de son frère et de sa mère, Tom bénéficie d’un visa afin de voyager jusqu’en Belgique puis vers le sud de la France. De là, un autre voyage, vers l’Espagne et le Portugal, leur permettra enfin de retrouver son père en Grande Bretagne. Désargenté, il vit de petits boulots tout en poursuivant des études d’ingénieur en aéronautique au Loughborough College. Rapidement, il va reprendre des cours au Central St Martins de Londres afin de devenir designer commercial et industriel.

Du design industriel…
Tom débute sa carrière durant les années cinquante, tout d’abord dans l’aéronautique, avant d’arriver chez Ford en 1955. Comme de nombreux amateurs de voitures désargentés de cette époque, il transforme une bonne vieille Austin Seven en concevant sa propre carrosserie. On y retrouve déjà des éléments de ses futures voitures, comme les flancs lisses. En 1959, il arrive chez Ogle Design au moment où cette société passe à l’assemblage automobile. A l’époque, il s’agissait de carrosseries en fibre de verre armé destinées à rhabiller des mécaniques de Riley 1.5.

Trois ans plus tard, ces principes de conception sont adaptés à des éléments mécaniques d’origine Mini sur l’Ogle SX 1000, un petit coupé très original. La mort de David Ogle signifie malheureusement l’arrêt de la production du petit coupé maison, en 1962. Tom Karen prend sa succession et devient responsable design chez Ogle. Bush, un fabricant de radios et tourne-disques, était l’un des plus gros clients d’Ogle. Tom imagine le récepteur TR130 qui remporte un immense succès au cours des années 60.

… aux voitures
Après son passage chez Ford, c’est le design industriel qui occupe essentiellement notre homme. Il revient à l’automobile un peu par hasard, lorsque Reliant signe un contrat important avec Ogle. Sa patte, c’est une ceinture de caisse qui remonte vers l’arrière, vue sur une multitude de modèles. C’est un peu ce qui se retrouve dans les dragsters, avec une poupe plus haute que la proue, suggérant la puissance déferlant sur les roues arrière. Autre constante de ses voitures : une ingéniosité de conception les rendant facile et pas trop chères à fabriquer. En bon designer industriel, ce n’est pas l’esthétique qui l’a guidé, plutôt la facilité d’assemblage, les coûts réduits et, au final, si une certaine beauté se dégage de l’objet, c’est un bonus. Sur papier cela peut sembler très froid… et pourtant, Tom Karen a conçu différentes voitures dans lesquelles le côté fun et ludique est bien présent.

La Reliant Scimitar
Reliant s’était basé sur la Daimler SP250 Dart pour sortir la SX250, devenue Sabre, un coupé deux portes à moteur six cylindres. La Scimitar GT en est un dérivé, tout comme la Scimitar GTS Triplex et son toit vitré. Lors de sa sortie, en 1965, ce n’est qu’un prototype de salon destiné à mettre en valeur le savoir-faire de Triplex en matière de verre automobile. Le Duc d’Edimbourgh tombe amoureux de la voiture et l’utilise durant au moins deux ans. Pendant ce temps, Karen se penche à nouveau sur sa planche à dessin et fait évoluer ce design. En 1968, la Reliant Scimitar GTE est aboutie. A l’arrière, elle utilise des vitres planes qui remontent et suivent la ceinture de caisse tandis que le hayon est constitué d’une simple vitre, plane également.

La carrosserie est entièrement en fibre de verre et habille des éléments mécaniques Ford de grande série. Cette voiture est sans conteste le plus grand succès de Reliant. Quatre générations et plusieurs milliers d’exemplaires se succèdent entre 1968 et 1986. Après l’arrêt des activités de la marque, la production se poursuit entre 1988 et 1990, sous la marque Middlebridge. En plus du Prince Philip, la Princesse Ann va également contribuer au succès de la voiture : elle l’adore et en possèdera plusieurs exemplaires. Une Middlebridge se trouve toujours dans son garage ! Reliant fait également appel à Tom Karen pour d’autres projets. C’est ainsi qu’en 1965, il signe les lignes de l’Anadol destinée à motoriser la Turquie.

Les trois roues : Bond Bug et Reliant Robin
L’autre grand succès automobile de Tom Karen est une trois roues ! Reliant s’était constitué une clientèle fidèle pour ses modèles à roue unique à l’avant. Economiques à l’achat et à l’usage, bénéficiant d’une taxation réduite, ils ont séduit durant des années. Bond était l’un de ses concurrents et la marque finit par l’absorber fin des années 60. Chez Reliant, l’idée est alors d’en préserver l’identité et de la développer pour attirer une nouvelle clientèle, plus jeune. Présentée en 1970, la Bond Bug est sans doute l’un de ses projets les plus aboutis de Tom Karen.

L’engin se voulait un peu le pendant britannique des buggies américain, avec une carrosserie en plastique à l’esthétique particulière et une teinte orange bien flashy. Celle-ci était unique et choisie simplement parce que… c’était celle qui coûtait le moins cher ! Stricte deux places, elle ne dispose que d’une seule porte, en fait le bloc avant complet, bascule. En cas de problème, des portillons latéraux en toile permettent aux occupants de sortir. Tom Karen signe ensuite les lignes de la Reliant Robin, en 1973. Celle-ci utilise le châssis de la Bond Bug modifié.

Toujours en plastique, elle est aussi très légère, à moins de 450 kg ! Elle peut emmener quatre personnes dans des conditions de confort tout à fait acceptables. Celle-ci fait preuve d’innovation dans les détails : la gouttière de pavillon représente toujours un problème majeur avec une carrosserie en fibre de verre. Sur une caisse en tôle, il suffit de raccorder le flanc et le pavillon au bon endroit pour obtenir cette gouttière de façon naturelle et qu’elle soit régulière sur toute sa longueur. Il en va tout autrement avec la fibre de verre, qui peut être sujette à des différences d’épaisseur.

Tom Karen résout le problème de façon originale : la gouttière de la Robin est incorporée dans l’encadrement de portière… comme toujours, du bon sens, de la simplicité et un coût réduit. Pour la petite histoire, Giorgietto Giugiaro reprendra cette idée quelques années plus tard, sur la Fiat Uno !

Un esprit prolifique
La décennie suivante est tout aussi prolifique pour Tom Karen qui est resté un grand enfant. Il imagine, pense, réfléchit, conçoit des jeux pour ses propres enfants et des milliers d’autres. Il dessine le vélo Raleigh Chopper, celui dont toute une génération a rêvé dans les années 70. Il a aussi conçu des jeux comme le Marble Run. Amusant et éducatif, ce casse-tête permet de développer une certaine logique technique.

Différents circuits permettent à des billes d’évoluer sur nombre de trajectoires, un peu à la façon d’un flipper, mais en beaucoup plus complexe. En parallèle, il signe le Land Speeder de Luke Skywalker pour le premier épisode de la saga Star Wars ! Au cours des années 80, il conçoit également plusieurs cabines de camion pour Leyland : les C40 et T45. Il est encore l’auteur de la Papamobile sur base Range Rover, en 1982. Tom prend une retraite bien méritée en 1999.

Depuis, il dessine, crée toujours des jeux et intervient lors de cours de design auprès du Royal College of Art de Londres…à plus de 95 ans ! Il a reçu le titre d’Officier de l’Empire Britannique (l’équivalent de la Légion d’Honneur) en 2018, pour sa contribution à l’industrie nationale. Une reconnaissance tardive, certes, mais qui vient couronner une œuvre importante et méconnue. (Texte: Dimitri Urbain)

Salut Dimitri, me voila un peu plus intelligent , si c’est possible ?, A+