Il y a juste cent ans naissait l’automobile moderne. La Lancia Lambda est la première voiture à disposer d’une carrosserie autoporteuse, de suspensions indépendantes et d’un V6 avant-gardiste. Le nom du constructeur Turinois rime alors avec prouesse technique.

Vincenzo Lancia, le visionnaire
Le 1er septembre 1921, Vincenzo Lancia, accompagné de Luigi Gismondi, son essayeur attitré, prend le volant d’un premier prototype de Lambda et procède à des essais entre Turin et le col du Mont Cenis. Elle est l’aboutissement d’idées couchées sur le papier dès 1918 et ayant fait l’objet d’un brevet en mars de l’année suivante. Ce nouveau modèle d’automobile utilise une poutre centrale en acier embouti faisant office de châssis. Celui-ci est associé à une caisse autoporteuse, une première. La carrosserie torpedo est beaucoup plus basse que tout ce qui se fait alors car l’arbre de transmission, reliant le moteur et la boîte de vitesses situés sur l’avant à l’essieu arrière, est logé dans un tunnel se trouvant à l’intérieur et non plus sous la voiture.

Cette Lancia est évidemment bien plus aérodynamique que tout ce qui existe alors et son centre de gravité abaissé est gage d’un excellent comportement routier. Ayant déjà voyagé plusieurs fois vers les Etats-Unis, Lancia s’est inspiré d’un transatlantique pour son nouveau projet. Exit également les banquettes, remplacées par des sièges individuels décalés pour les quatre passagers. A l’avant, les suspensions sont indépendantes, une autre grande première. Cette innovation est due à Battista Falcheto, l’un des plus proches collaborateurs de Vincenzo Lancia. Le bris d’un ressort à lame sur sa propre voiture pousse Lancia à innover afin d’éviter ces problèmes. Il faut dire qu’à cette époque, les routes italiennes tenaient plus du chemin de terre que de l’autoroute!

Le pont rigide, alors un montage universel, induit un mouvement de roue opposé à chaque rebond, ce qui est loin d’être confortable et, surtout, peut très vite s’avérer dangereux. Certes, les vitesses de l’époque n’étaient pas encore très élevées mais les accidents étaient alors nombreux. Falchetto revient rapidement de sa table à dessin avec plus de dix propositions pour créer une suspension indépendante. En outre, Lancia veut que sa voiture ait un comportement dynamique et mette toute la concurrence d’accord. C’est pourquoi la Lambda reçoit également un tout nouveau moteur quatre cylindres en V à 13°6’’, de 2100 cm3 et 49 ch à 3250 tr/ min. Il bénéficie également du montage d’un arbre à cames en tête! Occupant moins de place en longueur, il en dégage plus pour les passagers. Voilà encore un autre élément en avance sur son époque: dégager un maximum d’espace pour les occupants afin d’augmenter leur confort. Une préoccupation qui n’arrivera que bien des décennies plus tard chez les autres constructeurs!

La boîte de vitesses est une trois rapports. Les suspensions sont donc indépendantes à l’avant tandis qu’à l’arrière c’est un essieu rigide suspendu par des lames longitudinales semi-elliptiques qui est utilisé. Les freins sont mécaniques sur les quatre roues. La voiture pèse un peu plus de 1.200 kg et atteint un bon 110 km/h. Soulignons également que l’alimentation électrique est déjà en 12 V! Autre originalité majeure, le coffre fait désormais partie intégrante de la structure de la voiture et n’est plus une malle rapportée, pratique alors généralisée. Désormais, le tablier avant et la cloison séparant l’habitacle du coffre renforcent transversalement la structure et augmentent la rigidité de la caisse, encore une fois à l’image de la construction des coques de navires.

Freinage moderne
Falchetto, toujours lui, propose à Lancia d’équiper la voiture de freins avant. A cette époque, seules les roues arrière étaient freinées. Son raisonnement est logique: si la suspension indépendante et l’aérodynamisme amélioré autorisent des performances plus élevées, il est également important de pouvoir arrêter la voiture dans les meilleures conditions. La mise au point s’avère longue et délicate mais la voiture est finalement prête en 1922. C’est alors l’une des vedettes des salons de Paris et Londres. Il faut encore attendre quelques mois pour que la production commence, en 1923.

Evolution constante
Lancia est un perfectionniste et il améliore sans cesse ses automobiles. La Lambda reste en production durant neuf années et connait autant de versions! La première série s’efface après une production de seulement cinq mois, en novembre 1923. Elle est disponible en version torpedo et berline découvrable. Autre différence de taille avec les productions de l’époque, l’absence de châssis restreint la créativité des carrossiers indépendants. La seconde série, présentée à ce moment, bénéficie d’améliorations de détails et reste, elle aussi, en production pour seulement six mois.

Dès le début, la Lambda plait et remporte un beau succès, séduisant de nombreuses vedettes et personnages importants de l’époque. La plus célèbre cliente de la marque est alors Greta Garbo. La troisième série, présentée en mai 1924, inaugure de nouveaux pistons en fonte plus résistants que ceux utilisés jusqu’alors, en aluminium. Quelques mois plus tard, en novembre, voilà déjà la quatrième série qui arrive, avec ses bloc moteur et culasse revus. La cinquième série, produite entre mars 1925 et septembre 1926, inaugure un freinage amélioré, des suspensions revues et une boîte à quatre rapports. Elle atteint désormais 115 km/h.

Produite à raison de plus de mille exemplaires, elle sort en parallèle à la série 6, entre septembre 1925 et juillet 1926. Celle-ci dispose d’un empattement allongé à 3,42 m au lieu de 3,10 m, ce qui permet de créer une version six places et déjà un peu l’ancêtre des futurs monospaces! En outre, le V du moteur est légèrement resserré (de 13°6 à 13°) et le freinage amélioré par le montage de tambours plus grands.

Cent fois sur le métier…
La septième série s’accompagne d’une augmentation de cylindrée, de 2.121 à 2.375 cm3. La puissance fait un bond de 10 ch, passant de 49 à 59,4. Très rapidement, la huitième série propose un nouveau moteur de 2.569 cm3 et 69 ch. La neuvième et dernière série, en fin de production, représente alors tout ce que Lancia fait de mieux: performances, confort, fiabilité et solutions d’avant-garde au service du progrès et d’une clientèle aisée. Au final, 13.000 voitures sont produites, jusqu’en 1931, preuve s’il en est de l’avancée technique de la Lancia Lambda lors de sa sortie au début des années 20!

Carrière en compétition
Avec son comportement routier supérieur à la concurrence et toutes ses innovations techniques, la Lancia Lambda devient rapidement un engin de compétition idéal. Durant les années 20, les courses sur routes ouvertes lui offrent un terrain de prédilection, notamment les Mille Miglia. Elle s’y illustre dès la première édition, en 1927, se hissant aux quatrième et cinquième places, empochant au passage la victoire en classe 3 litres.

Dès l’année suivante, l’usine prépare quelques exemplaires des torpedos à empattement court et caisse spider sortant de chez Casaro, à Turin, qui disposent de près de 80 ch ! Longtemps pointée en seconde position, la voiture de Gismondi doit finalement abandonner mais qu’à cela ne tienne, une autre Lambda termine troisième et première en catégorie 3 litres. Lors de l’édition suivante, une Lambda se place en quatrième position à l’arrivée, signant là un des derniers exploits sportifs de la voiture. (Texte: Dimitri Urbain)
