L’idée commence à faire son chemin dans certains esprits… faisons le point sur les nombreux enjeux qui se cachent sous cette problématique. Certes, les enjeux environnementaux sont importants mais il y va également de la rentabilité et de l’avenir des constructeurs automobiles eux-mêmes.

Pavé dans la marre
Un rapport de la commission scientifique et technologique du parlement Britannique publié la semaine dernière indique que, si le nombre de voitures particulières demeure à son niveau actuel, le pays ne pourra, à terme, réduire de manière significative la pollution liée au transport. Qui plus est, même si le parc actuel devenait électrique du jour au lendemain, cela ne suffirait pas car… les usines produisant ces véhicules continueraient à produire du CO2 en quantités importantes.
La conclusion de ce rapport a de quoi effrayer tous les amateurs et propriétaires de voitures car « à long terme, la possession individuelle de véhicules ne semble pas compatible avec la décabornisation majeure que nous essayons d’atteindre ». Toujours selon ce rapport, sur le long terme, les voitures partagées permettront de juguler et réduire les émissions de CO2. D’une part, parce que celles-ci sont (en partie) et seront de plus en plus souvent à propulsion électrique. D’autre part, parce qu’une voiture partagée remplace jusqu’à huit voitures individuelles.

Voiture partagée, planche de salut ?
Les voitures partagées ce n’est pas un nouveau concept. De nombreux constructeurs s’y intéressent mais la rentabilité d’un tel dispositif est, pour le moment, difficile voire impossible à atteindre. En Grande Bretagne, le nombre de voitures partagées est passé d’un peu plus de 3.000 unités en 2015 à 5.385 cette année. Cependant, c’est le nombre de personnes abonnées à ces services qui a fait un bond bien plus spectaculaire sur la même période, passant de moins de 200.000 à plus de 350.000 abonnés. La grande majorité de ceux-ci sont des citadins, plus de 60% vivent à Londres.
C’est là que se retrouvent les grands acteurs de la voiture partagée : Zipcar (AVIS) ; Entreprise Car Club ou encore Drive Now (BMW-Mini). Zipcar déclare dénombrer pas moins de 270.000 abonnés dans la capitale britannique ! Ce qui est tout à fait logique : posséder sa propre voiture, dans une grande ville, est compliqué et cher : problèmes de parking, manque de garages, etc. L’offre de transport en commun y étant multiple et complète, ne pas y posséder de véhicule personnel semble donc aller de soi. Les tarifs de location débutent aux environs de 0,30 €/ minute et différents types d’abonnements sont disponibles, afin de répondre à un maximum d’utilisateurs présentant des profils différents.

Une rentabilité difficile à atteindre
Ces activités sont loin d’être profitables à court terme et nécessitent de lourds investissements. L’échec patent d’Autolib, à Paris, rend les constructeurs prudents et les incite à s’associer afin de diminuer investissements et risques. BMW et Mercedes sont sur le point de fusionner leurs filiales respectives (Drive Now et Car2Go vont rapidement devenir Share Now). L’offre comprendra des véhicules des deux marques ainsi que des Mini et des Smart. En juin dernier, Volkswagen a lancé WeShare à Berlin, avec une flotte de 1.500 Golf électriques.
PSA est également présent sur le marché de la voiture partagée avec sa filiale « Free2Move » mais, sur certains marchés, il faut être client professionnel d’une des marques du groupe afin d’y avoir accès. Louer des voitures partagées s’avère bien plus compliqué que de simplement vendre des voitures ! Présent à Londres depuis 2014, Drive Now ne fonctionne pourtant que sur le territoire de neuf communes (sur les 33 !) qui constituent la ville car les tarifs de parking doivent être négociés avec chaque autorité locale, ce qui est loin de faciliter les choses. Car2Go, de Mercedes, a jeté l’éponge… pas assez rentable. Zipcar a également arrêté ses activités bruxelloises (reprises depuis février dernier par Poppy, soutenu par D’Ieteren), parisiennes et madrilènes pour la même raison.

L’impact de la densité de la population
En dehors des villes, la densité de population moins élevée rend encore plus hasardeuse la rentabilité des investissements en voiture partagée. Ce qui n’empêche pas les constructeurs de se positionner sur ce créneau… des sommes de l’ordre de 40 milliards d’Euros y ont été investies depuis 2016. Des montants colossaux qui s’expliquent peut-être par un changement de mentalité au sein de la population, avec l’évolution des pyramides des âges, et l’arrivée des « millenials » parmi la base des consommateurs. De plus en plus de gens trouvent plus facile de partager l’usage d’un objet comme une voiture plutôt que de devoir y investir une part non négligeable de leurs revenus, de devoir s’occuper de son entretien, de devoir payer des taxes, une prime d’assurance, etc.

Une stratégie à long terme
Les constructeurs, tels BMW et Mercedes, mettent en place une stratégie sur le long terme. Elle les amènera à contrôler des services utilisant des voitures autonomes que la clientèle pourra utiliser sur demande. Ils espèrent que leur offre multimodale comprenant l’utilisation à la demande, les véhicules, le parking et les bornes de recharge partagés ne seront qu’une étape vers la mise en place de dispositifs utilisant des véhicules autonomes que les utilisateurs n’auront quasiment qu’à siffler ! Ces sociétés filiales des constructeurs utilisent dès maintenant des véhicules électriques qui permettent de diminuer les émissions moyennes de CO2 et donc… la facture potentielle à payer dès 2020.

Tout cela fait partie d’une stratégie bien calculée afin de négocier au mieux le virage de 2020 et la nouvelle taxation des émissions de CO2. Dans la foulée, les constructeurs se sont également créé un nouveau canal de distribution… sur lequel ils ont une maîtrise totale et qu’ils peuvent utiliser comme outil de régulation, en fonction de leurs besoins. Si le remplacement de l’ensemble du parc par des véhicules partagés reste un doux rêve, il est certain que, pour de plus en plus de citadins, la voiture partagée est perçue comme un renforcement d’une offre de transport par ailleurs déjà complète.
En conclusion, à l’heure où la Belgique reste sans gouvernements et… sans politique claire et concertée en matière de mobilité, l’idée commence à faire son chemin ici aussi et se révèlera peut-être une partie de la solution aux problèmes de mobilité à Bruxelles ainsi que dans d’autres grandes villes. (Texte: Dimitri Urbain)
